Clap SurClap Sur : La Belle et La Bête de Jean Cocteaumardi 18 novembre 2025 à 20:30

CLAP SUR
LE FREAK C'EST CHIC
Oubliez les standards, cassez les préjugés, parole à l'hors-norme pour plus d'altérité !
Terme en anglais apparu au XVIᵉ siècle, un Freak est originellement une personne jugée fantasque. Mais des années plus tard, en pleine révolution industrielle, P. T. Barnum, homme d’affaires véreux, se réapproprie le mot pour mieux l’accoler à sa nouvelle attraction : les Freak Shows. Une représentation théâtrale d’Hommes-Monstres : femme à barbe, nanisme, homme géant, Vénus hottentote, où quand l’imaginaire devient réalité ! Enfin, pas tout à fait… Comprenez surtout une exhibition de personnes souffrant de malformations physiques, déshumanisées et souvent maltraitées. Tenus en marge de la société, ôtés de tout sentiment, relégués au titre de dangereux pestiférés par la culture populaire, il faut attendre l’essor du cinéma au début du XXᵉ siècle pour observer la réhabilitation des « Freaks ».
Du Freaks de Tod Browning, à Elephant Man de David Lynch, en passant par le Rocky Horror Picture Show de Jim Sharman ou Edward aux mains d’argent de Tim Burton : la monstruosité est-elle un état d’esprit ou juste une caractéristique physique ? Entre fascination filmée, marginalité et question d’humanité, c’est une réflexion en 4 films que nous vous proposerons entre septembre et la nouvelle année !
Chapitre 3 - Chimaera
LA BELLE ET LA BETE
de Jean Cocteau
Fille cadette d'un riche marchand, Belle, une jeune fille harcelée par ses soeurs, demande à son père de lui rapporter une rose. Sur le chemin du retour, celui-ci s'égare dans la forêt. Le lendemain matin, il cueille une fleur, ce qui provoque la colère de la Bête, monstre à corps d'homme et tête de lion qui vit reclus dans son château. En compensation de la fleur cueillie, la Bête réclame le sacrifice du marchand ou de l'une de ses filles.
LE MOT DU RIALTO
Malgré les apparences, les origines du conte La Belle et la Bête sont plus récentes et plus étonnantes qu’on ne le pense...
Tout bon apologue débute par une histoire vraie : celle de Pedro Gonzales, noble espagnol atteint d’hypertrichose (une mutation génétique se manifestant par une pilosité envahissante sur une partie du corps ou sur sa totalité), ayant trouvé une belle épouse à l’occasion d’un bal princier en France. Et, comme toute bonne fable, l’épreuve du temps en a édulcoré la véracité...
En 1740, on oublie la maladie de peau : tout ce qui n’est pas conforme à la norme devient « monstre ». Sous la plume de Madame de Villeneuve apparaît pour la première fois le roman fantastique de La Belle et la Bête, bien plus trivial que mignonnet, mettant en scène un riche monstre, servi par des singes et des oiseaux, recherchant une épouse afin de profiter des plaisirs de la chair. Mais, par un heureux hasard, il finit par tomber amoureux de sa captive et devient, au final, un monarque heureux, soudainement doté d’une grande bonté.
Moderne pour l’époque, certes, mais sans grand succès : difficile d’imaginer qu’une femme intelligente puisse choisir son destin, et plus encore lorsque le récit est écrit par une femme.
Qu’à cela ne tienne, Madame Leprince de Beaumont, quarante-cinq ans plus tard, reprend le mythe de sa consœur, mais l’adapte à des fins éducatives et morales, en version courte, plus romantisée et accessible aux enfants.
En 1944, Jean Cocteau, prolifique artiste pluridisciplinaire, cherche à réaliser son rêve : mettre en scène un conte de fées en prises de vues réelles — du jamais vu au cinéma jusqu’alors (ou presque, les balbutiements du genre ayant déjà été esquissés par Georges Méliès au début du siècle). Sous les conseils avisés de son compagnon, l’acteur Jean Marais, Cocteau fait le pont entre les récits, et c’est peut-être à lui que l’on doit la réécriture la plus populaire de cette histoire. C’est entre ses lignes qu’apparaît, par exemple, le personnage du prétendant Avenant, qui deviendra plus tard Gaston. Il reprend également l’idée du conte La Chatte blanche, relatant l’histoire d’un jeune homme subjugué par un riche chat dont les domestiques sont réduis à leurs utilités, dont il ne reste plus que des bras et des mains.
Après un an de préparation, et après moult péripéties et contraintes : budget fluctuant dû à la frilosité des producteurs dans une France d’après-guerre en pleine apogée du cinéma réaliste, costumes contraignants, décors imposants... le tournage débute en août 1945. Avec beaucoup de débrouille, de « trucs » et d’astuces, le film s’impose comme un objet inédit dans le panorama cinématographique français.
Le succès n’est pas immédiat, mais viendra avec le temps, jusqu’à en faire un chef-d’œuvre mondial, d'une grande méditation sur le désir, la beauté, la différence et la société.
Une chimère filmée, un freak movie au sens premier, où l’étrangeté naît de la démesure des corps et des décors, tandis que l’allégorie des mots vient transfigurer les apparences.
Diffusion en séance unique mardi 18 Novembre à 20h30.
Un film présenté par Juliette Chéron du Rialto.
